Dans sa démarche d’observation minutieuse des pratiques managériales (1 300 cas en plus de vingt ans), l’École de Paris du management a été frappée par l’émergence, dans toute la société, d’une nouvelle famille d’acteurs, qui inventent des solutions à des problèmes jugés insolubles, créent des activités inattendues, souvent porteuses de sens et de convivialités nouvelles, sans s’embarrasser des cadres préétablis.

Ces acteurs, toujours plus nombreux, se saisissent des opportunités créées par les mutations actuelles pour réinventer le monde. Nous les appelons les entreprenants. Ils jouent un rôle essentiel, mais insuffisamment connu et apprécié.

Ce manifeste a vocation à appuyer leur action, afin que la transformation de la société ne se résume pas au renforcement des forts et au décrochage des autres. Les appuyer, c’est d’abord les faire connaître dans leur très grande variété ; comprendre comment ils réussissent ce qui paraissait impossible; et tirer des enseignements de leurs aventures.

Voici quelques traits qui permettent de les reconnaître.

1
L’entreprenant n’est pas forcément un entrepreneur, car ses projets peuvent se situer en dehors du champ de l’entreprise.
Pour insérer des exclus, Jean-Guy Henckel crée en 1991 les Jardins de Cocagne, où sont cultivés des légumes bios vendus à des abonnés sous forme de paniers hebdomadaires variés. Il est pris pour un rêveur, mais les jardiniers en herbe s’impliquent, renaissent, se socialisent, et les jardins prennent une grande ampleur. Nombre d’entreprises viennent s’en inspirer pour mobiliser leurs collaborateurs.
2
Un entrepreneur peut être un entreprenant, s’il a une vision sociale ou sociétale de son rôle.
Anne Leitzgen a fait de Schmidt Groupe l’entreprise qui est allée le plus loin dans la numérisation et la robotisation, mais elle a aussi un projet humaniste : cette transformation sera faite tous ensemble, les ouvriers étant transformés en opérateurs et en pilotes d’installations complexes.
3
L’entreprenant est mû par une énergie singulière, car il doit affronter de redoutables défis, mais sa motivation ne peut se résumer à la recherche d’un profit personnel.
Jean-Daniel Muller et Jean-Michel Ricard créent en 1997 l’association Siel Bleu pour aider les personnes âgées à maintenir leurs capacités grâce à une activité physique adaptée. Le succès est tel qu’ils ont des propositions très lucratives du privé, mais ils les refusent pour préserver le sens de leur projet.
4
L’entreprenant fait preuve de courage. Il affronte des risques : financier, de carrière,, d’emploi, voire de déconsidération.
Trois amis fondent, pendant leur école d’ingénieurs, une start-up pour construire des coques de voiliers en composites. La start-up s’enlise avant de se hisser parmi les leaders mondiaux, et Clémentine Gallet, la PDG, montre ce que résilience veut dire, vivant du RMI avec mari et enfant pendant quatre ans.
5
L’entreprenant supporte la solitude, sans être solitaire. S’il peut se trouver isolé par l’audace de ce qu’il propose, il montre une grande aptitude à animer des collectifs et à créer des liens.
Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle, ville sinistrée par la fermeture des mines, a un rêve : redonner leur fierté à ses concitoyens et créer un monde plus durable. Écologiste, ce qui détonne dans un bassin minier, il concilie avec persévérance vivre-ensemble, environnement et économie ancrée sur le développement durable. Il a été réélu avec des scores exceptionnels et sa commune a été la référence de la COP21.
6
L’entreprenant raconte une histoire enthousiasmante et communique un désir de changer le monde.
Face à l’afflux de demandeurs d’asile, Nathanaël Molle crée Singa pour réunir des Français et des réfugiés qui souhaitent se connaître et mener des projets ensemble. Les effets dépassent les espérances de son jeune créateur et Singa s’implante à l’étranger où ce projet suscite l’enthousiasme.
7
L’entreprenant aime inventer des solutions à des problèmes que d’autres jugent insolubles.
Comment créer un musée de la préhistoire en Corée du Sud, quand on n’a jamais travaillé à l’étranger ni sur un lieu culturel? En s’inspirant de la topographie du site, Anouk Legendre et l’agence XTU créent un projet qui, contre toute attente, arrive en tête des 600 dossiers déposés.
8
L’entreprenant est un jardinier, même si ce n’est pas un candide. Le maçon bâtit sa maison selon des plans définis, alors que le jardinier se soucie de faire grandir ses plantes en les adaptant à des conditions locales et changeantes. C’est cette vision qui anime l’entreprenant.
Christophe Chevalier fait renaître l’industrie de la chaussure à Romans. Pour reconstituer les savoir-faire, il va chercher des ouvriers à la retraite. Comme premiers clients, il vise des créateurs de mode et de grandes marques. Débordé par la demande, il crée une marque, Made in Romans, et veille à la croissance de cette industrie en fonction des opportunités qui se présentent.
9
L’entreprenant aime l’efficacité. Même s’il est tiré par un rêve ce n’est pas un rêveur : il faut que ça marche. Il a, de plus, un sens du management frugal.
Pierre Pezziardi et Henri Verdier créent des “start-up d’État” : de petites équipes incluant des agents publics, avec un budget réduit et une échéance de six mois, créent des applications réglant des problèmes irritant les usagers. Une méthode radicale qui surprend mais qui porte ses fruits.
10
La réussite d’un entreprenant n’est jamais reproductible mais toujours inspirante. Elle est marquée par la singularité de son auteur. Il ne suffit donc pas d’énoncer quelques principes pour féconder les autres. L’image de la pollinisation est plus adaptée.

Pourquoi un manifeste des entreprenants ?

  • Pour rendre compte d’un phénomène aussi important que méconnu.
  • Pour encourager toutes les initiatives faisant la promotion des entreprenants.
  • Pour accompagner la création d’un Jardin des entreprenants qui rassemblera 300 cas inspirants.

C’est ainsi que nous aiderons les entreprenants à rendre lisibles leurs projets, leurs passions et leurs savoir-faire et que nous favoriserons la propagation d’un esprit entreprenant.

Ce manifeste a déjà reçu le soutien de (par ordre aplhabétique) Bertrand Ballarin (Michelin), Françoise Bernon (Laboratoire de l’ESS), Pierre Deheunynck (ENGIE), Stéphane Distinguin (FABERNOVEL), Louis Gallois, Laurent Grandguillaume (Territoires zéro chômeur de longue durée), Jean-Marc Guesne (Ashoka France), Claire et Marc Héber-Suffrin (Réseaux d’échanges réciproques de savoirs), Charles-Benoît Heidsieck (Le RAMEAU), Jean-Guy Henckel (réseau national Cocagne), Jean-Hervé Lorenzi (Le Cercle des économistes), Patrick Négaret (CPAM), Patrick Pélata (Meta Consulting), Pierre Pezziardi (Entrepreneur en résidence), Patrick Pouyanné (Total), Jospeh Puzo (AXON’), Xavier Roy (France Clusters), Éric Scotto (Akuo Energy), Claude Seibel (ancien directeur de la DARES), Hugues Sibille (Fondation Crédit Coopératif), Henri Verdier (DINSIC), Michel de Virville (Collège des Bernardins).