PhilippeAubert, lourdement handicapé, ne se résigne pas à la vie d’assisté que lui préparait la société. Il force le passage pour faire ses études et mener une vie de citoyen à part entière, révélant des talents d’entreprenant et une joie de vivre contagieuse.
Certaines personnes souffrant de lourds handicaps déploient une énergie et une inventivité incroyables pour corriger le destin, galvanisant leurs proches et enrôlant nombre de valides et d’invalides. Philippe Aubert en est un exemple particulièrement illustratif.
Philippe Aubert, élève sortant de l’ordinaire
Âgé de 37 ans, son corps est paralysé, mis à part des mouvements incontrôlés des bras, et il ne peut pas parler. Dès son enfance, divers signes détectés par ses proches ont montré qu’il avait une capacité intellectuelle exceptionnelle. Si vous lui demandez, par exemple, quel jour sera le 28 janvier 2022, il vous répondra que c’est un vendredi. Il a inventé un mode de communication : on lui récite l’alphabet, il choisit des lettres d’un mouvement d’épaule et ainsi épelle des mots.
Au lycée Toulouse Lautrec de Vaucresson, il s’est montré très bon élève. Il n’a toutefois pas été autorisé à présenter le bac, car le temps qu’il lui fallait pour passer les épreuves n’était pas compatible avec les marges de tolérance qu’on pouvait lui accorder. On lui conseilla alors de postuler pour un foyer occupationnel. Il est allé le visiter avec son père et s’est enfui.
Son père ayant découvert l’existence du diplôme d’accès aux études universitaires, Philippe décida de le passer. Pour cela, il n’avait d’autre choix que de le préparer dans son lycée, ce que le proviseur refusa, au motif que son établissement ne pouvait pas préparer à un diplôme universitaire. Après une bataille acharnée, il fut admis à rester, à condition de quitter l’internat, de déjeuner seul et de n’avoir aucun échange avec les professeurs (certains l’aidèrent en cachette). Les règles l’empêchant de mener son projet, auxquelles il a été confronté à maintes reprises, l’ont amené à avoir une démarche transgressive épuisante et coûteuse.
Philippe et son double, Jackson
Jackson Sintina l’a connu en répondant à une annonce : « HELP ! Je suis un jeune garçon handicapé IMC athétosique de 16 ans. Je cherche une personne (homme ou femme) forte pour s’occuper de moi et m’aider pour mes devoirs les mercredis et vendredis soirs. Elle sera rémunérée et nourrie pendant le travail. » Après la première rencontre, il se dit qu’il ne pourra pas continuer, mais revient quand même le lendemain, sans doute par devoir. Ils sont maintenant inséparables et ont développé une complicité étonnante.
Ils ont fait leurs études universitaires ensemble, obtenant un premier master 2 en sociologie à l’Université de Nanterre, puis un deuxième master 2 à l’INSHEA sur les pratiques inclusives des personnes en situation de handicap. Ils ont maintenant un projet professionnel sur lequel ils se sentent très compétents : aider les entreprises et les collectivités à passer du rejet ou de la compassion excessive face aux personnes handicapées, à une relation empathique où chacun apporte à l’autre et apprend de lui. Ils créent pour cela une société de conseil, un fonds de soutien et un lieu d’échange d’expériences entre valides et “empêchés” afin de faire émerger de bonnes manières d’interagir.
La force d’un témoignage
Philippe Aubert a été invité à présenter ses aventures lors d’une séance de l’École de Paris. Au bout de deux heures nous étions emportés par son optimisme et sa joie de vivre. J’ai alors eu l’occasion de produire un ouvrage avec les ateliers henry dougier. Sophie Jacolin, rédactrice du compte rendu de la séance, a accepté d’y travailler.
Je pensais qu’elle complèterait le compte rendu en interrogeant des proches, mais il s’est passé quelque chose d’imprévu. Philippe Aubert a exigé d’être interviewé par elle, seul à seul, afin de « prendre enfin la parole ». Sophie Jacolin a alors passé des dizaines d’heures à transcrire lettre par lettre ses mémoires. Il en résulte un ouvrage, Rage d’exister, d’une force extraordinaire, qui ne cherche pas à apitoyer le lecteur, mais à lui faire comprendre comment il serait bon que la société aborde le handicap.
Pour en savoir plus :
Compte rendu de la séance « Je serai un homme » https://www.ecole.org/fr/seance/1116-je-serai-un-homme
Ouvrage : Rage d’exister
Fonds de dotation : https://drive.google.com/file/d/1M-jhIJTLobl2JsDgid7ihxyyI-Nh48VJ/view