Objet de toutes les relégations, les quartiers ont tendance à se couper du reste de la société. Retisser le lien par la mobilisation des habitants eux-mêmes, assurer l’interface et même la traduction avec les institutions, voici le pari fou des Voisins Malins.

 

La presse nous montre les quartiers difficiles comme des lieux d’incivilités et de trafics divers, mais ce sont surtout des lieux de solitude et de désarroi. Parlant peu le français, nombre d’habitants se sentent seuls face à la complexité administrative et ne peuvent guère faire valoir leurs droits. L’école où vont leurs enfants, les lieux culturels, et même le centre social leur paraissent des univers étrangers, et quand le bureau de Poste est fermé, que les urgentistes ne viennent plus, le sentiment d’abandon s’installe.

Inventer des médiations nouvelles

Anne Charpy, après avoir travaillé pendant quinze ans en lien avec des quartiers populaires, a voulu lancer une initiative pour remédier à cette coupure.

« En 2008, le maire de Grigny, très impliqué dans sa ville de presque 30 000 habitants, n’a été réélu qu’avec à peine 2 000 voix, ce qui m’a profondément marquée. Pour les décideurs dont je faisais partie, il fallait que les services soucieux d’améliorer la situation et les habitants puissent se rencontrer. Les institutions n’étant plus le lieu adéquat, nombre d’associations étant à bout de souffle, il fallait inventer quelque chose qui parte des habitants. »

Alors directrice du GIP Grigny-Viry-Châtillon, elle et son équipe avaient trouvé une dizaine d’habitants parlant différentes langues qui avaient accepté de servir de traducteurs, par exemple entre les instituteurs et les familles. Une centaine de familles avaient ainsi été remises en contact avec les écoles. Puis les traducteurs eurent l’idée de traduire les contes lus lors de soirées du centre social, les rendant accessibles à davantage de personnes.

Ils sont ainsi devenus des passeurs entre les habitants et les institutions. Tous d’âges, de métiers ou de cultures très divers, ils devinrent les premiers Voisins Malins.

Un voisin frappe à la porte pour vous aider

Le rôle d’un Voisin Malin est d’aller à la rencontre des habitants en portant un message qui leur soit utile : relayer une campagne de prévention, discuter du gardiennage, réduire la facture d’énergie, etc.

« Les sujets sont préparés avec un professionnel. L’information sur la prévention du cancer du sein a été préparée avec l’association de dépistage des cancers de l’Essonne et l’agence régionale de santé. Avant la campagne de porte-à-porte, le responsable de projet s’assure que des radiologues à proximité accepteront de prendre en charge les bénéficiaires de la CMU ou de l’aide médicale. Quand une personne, sur des sujets aussi intimes, se décide à consulter, tout doit être organisé pour que sa démarche soit facilitée. »

Parce que les sujets sont concrets et qu’ils sont abordés par un voisin mandaté par un bailleur social, la mairie ou par une entreprise d’énergie, les portes s’ouvrent. Actuellement, le taux d’ouverture des portes est de 70 à 80 %, ce que nul autre n’arrive à atteindre. Peu à peu, la confiance s’instaure. Pour le maire de Grigny, les Voisins Malins sont devenus des citoyens actifs qui font le lien entre les habitants et les autorités.

Devenir un Voisin Malin

Les Voisins Malins sont des étudiants issus du quartier, des mères de familles, des retraités, mais aussi des actifs (comptables, femmes de ménage, petits commerçants, …). Ils sont employés en CDI par l’association VoisinMalin, avec des temps partiels d’une vingtaine d’heures par mois. Les 100 Voisins Malins actuels parlent au total 36 langues et dialectes. Le rôle qu’ils jouent, la reconnaissance dont ils se sentent l’objet, favorisent l’éclosion de leurs personnalités et l’affirmation de leur charisme, comme le montre la vidéo.

Un management structuré

Chaque quartier est sous la responsabilité d’un manager, qui recrute et forme les Voisins Malins, anime leur groupe, avec une réunion de débriefing et un entretien individuel chaque mois. Il construit les missions et prépare les messages avec les différents partenaires. Ces derniers forment les Voisins et financent ces opérations.

Pour installer l’association dans un nouveau quartier, le manager recherche pendant trois mois les personnes-ressources (un médecin, un épicier, la bibliothécaire, etc.) qui vont lui recommander des habitants candidats pour être Voisin Malin. Il veille aussi à ce que l’association “n’écrase” personne, et prend le temps qu’il faut pour qu’elle trouve sa place.

Un marché en fort développement ?

L’association a rencontré, en sept ans, 50 000 familles, ce qui représente 150 000 personnes. Elle est présente dans 14 quartiers et se développe.

« Il existe 200 quartiers en rénovation urbaine en France, programme national qui touche environ 2 millions d’habitants. Nous estimons que nous atteindrons une taille critique quand nous serons en mesure de toucher 20 % de ces habitants, d’ici trois ans. Pour cela, nous ouvrons trois nouveaux quartiers par an dans les plus grosses zones urbaines concernées. Cela représentera, à terme, un total d’environ 200 Voisins Malins. Après quoi, nous arrêterons là notre expansion, car je n’ai nullement l’intention de me trouver à la tête de trois mille salariés ! »

Aller vite tout en faisant bien n’est, en effet, pas facile. Anne Charpy a choisi d’aider d’autres à transposer sa méthode. Par exemple, un partenariat est en construction avec une grande association de voisins de Barcelone, créée pour résister au franquisme et qui cherche un second souffle.

Elle illustre les thèses du manifeste des entreprenants selon lesquelles l’entreprenant aime résoudre des problèmes et a l’âme d’un jardinier qui prend le temps de s’adapter aux conditions locales. Mais Anne Charpy risque d’avoir à faire face à de fortes demandes, tellement l’idée est lumineuse et paraît simple à mettre en place…

Voir le compte rendu de l’École de Paris : Comment les voisins malins changent la vie collective


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