Une expérience montre que la motivation des fonctionnaires ne tient pas simplement à des incitations économiques mais à une revalorisation de leur rôle. Ses enseignements vont bien au-delà de la fonction publique…
Une préoccupation des DRH d’aujourd’hui est de recréer de l’engagement chez les salariés, et l’on apprend dans The Conversation que seulement 10 % des salariés français seraient impliqués dans leur travail. L’affaire est donc sérieuse. Une expérience initiée il y a une dizaine d’années dans la fonction publique montre que l’on peut remédier à des situations même désespérées, non pas à coups de recettes simples, mais en concevant un plan d’ensemble pour faire que les agents se sentent pris dans une histoire qui les valorise.
Que fait donc la métrologie ?
Lors d’une restructuration du ministère de l’Industrie, Jean-Marc Le Parco hérite, entre autres, du bureau de la métrologie et décide d’aller voir sur le terrain ce dont il s’agit.
« J’y trouve des hommes et des femmes très inquiets. Les anciens, qui ont connu la grande époque du service des Poids et Mesures, et l’ont vu passer de 700 personnes après-guerre à 100 aujourd’hui, se disent qu’ils vont perdre leur identité en devenant des agents de la Répression des fraudes. D’ailleurs, lors de vacances de postes, les candidats ne se bousculent pas malgré la crise de l’emploi.
Ces rencontres directes me permettent aussi de constater qu’ils contrôlent les pompes à essence, les balances, les taximètres, les radars automatiques, etc., qui concernent la vie quotidienne de chaque citoyen, loin de l’image poussiéreuse formée dans mes préjugés. Pour quiconque fait ses courses ou son plein d’essence, il est évident que les balances et les pompes sont justes. Cette confiance est rendue possible par l’action, peu visible mais ô combien utile, des agents de la métrologie. Et que dire des radars, heureusement qu’ils sont contrôlés ! De telles actions concrètes de surveillance paraissent valorisables en termes de communication. »
Retour aux sources du métier
Il favorise d’abord un retour aux sources du métier : les agents n’effectuaient plus directement le contrôle des instruments, la tâche ayant été déléguée à des organismes privés, leur rôle n’étant plus que de contrôler ces organismes. Il est difficile de convaincre le ministre de maintenir les effectifs pour une activité s’apparentant à un métier de consultant et pouvant être réalisée par d’autres. D’ailleurs, les agents n’arrivent eux-mêmes plus à expliquer leur métier à leurs proches.
Il faut donc trouver des actions visibles et susceptibles de faire comprendre l’intérêt de leur mission. Pourquoi pas des contrôles ponctuels sur le terrain ? Les responsables régionaux renâclent : c’est un retour en arrière ! Jean-Marc Le Parco explique qu’il ne veut pas un retour à la situation d’antan mais la réalisation, par échantillonnage, de contrôles sur des aspects critiques pour la fiabilité des instruments, afin de s’assurer qu’ils ont bien été vérifiés par les contrôleurs privés. Les agents, informés de ce projet, réagissent très positivement. Ils se mettent à réacquérir des moyens métrologiques pour faire ces contrôles et retrouvent même, à la cave ou au grenier, d’anciens instruments de mesure. Ils en restaurent de très vieux et les installent à l’entrée de leur service. Leurs visiteurs, admirant une superbe balance ancienne ou un éclaté de pompe à essence, se disent que ce sont là les signes d’un vrai métier !
Le retour sur le terrain, un bain de jouvence
Fort de ce premier succès, Jean-Marc Le Parco souhaite que 25 % des activités soient consacrées à la surveillance de terrain, au lieu de 2 %. Les agents découvrent ainsi qu’en réinvestissant ce métier, ils acquièrent une vision globale de l’état du parc des instruments de mesure, et surveillent mieux les organismes de contrôle : ils ont des exemples à leur opposer et pas seulement des observations sur leur manuel qualité. Il a toutefois fallu les convaincre :
« Une des préoccupations des agents – qui était également mienne – était de savoir comment ils allaient être accueillis lors des contrôles. Or, les responsables, dans les grandes surfaces, les industries ou les commerces, ont été ravis : « Vous nous aviez laissés dans les mains d’organismes privés dont on ne sait pas si ce qu’ils nous demandent d’appliquer est bien la réglementation officielle. Désormais, l’État s’assure que ce qu’ils font est bien conforme. » Nous avons dès lors réussi à repositionner la métrologie sur son cœur de métier et lui avons redonné du sens. »
Du bon usage des médias
Encore fallait-il que ces aspects figurent dans le compte rendu d’activités officiel du ministère, qui fait une large place aux questions de politique économique. Pour réussir à y glisser des éléments montrant aux agents que leur travail était utile et reconnu, il était bon que des journalistes en parlent.
« Le contrôle des balances, des pompes à essence et des radars n’était pas très facile à leur vendre, mais nous avons trouvé une voie : organiser des contrôles surprise après avoir prévenu des journalistes. Quand Le Parisien a publié un article lyrique, repris dans la presse régionale, sur le savoir-faire et l’utilité des agents de la métrologie, le service a connu l’euphorie et le cabinet du ministre a apprécié. »
Des rites pour entretenir une vie collective
Enfin, Jean-Marc Le Parco crée des rites pour faire vivre la communauté, dont voici un exemple. Une réunion était organisée de loin en loin pour faire “monter” à Paris tous les membres du service, mais les échanges étaient convenus. Il décide d’en faire un séminaire à Bercy dans la salle de conférences des ministres. Pour la première séance, des saynètes sont jouées par des membres du service pour traiter avec humour de situations conflictuelles habituelles dans l’exercice du contrôle ; elles rencontrent un grand succès. Depuis, le séminaire est organisé périodiquement, selon des modalités qui encouragent les échanges d’expériences et permettent d’entretenir la vie collective.
Économie et sens
Les agents retrouvent ainsi progressivement leur fierté et reprennent leur destin en main.
On met souvent en avant les incitations économiques comme sources d’efficacité des agents. Ils ne sont bien sûr pas contre une amélioration de leurs revenus, mais cette expérience montre qu’ils ont tout autant besoin de contribuer à une histoire valorisante de leur rôle et d’appartenir à une communauté dans laquelle leur identité personnelle est reconnue. L’enjeu est en quelque sorte de faire ce que j’ai évoqué dans un autre article : fabriquer de l’estime.
C’est ce que Jean-Marc Le Parco a réussi à faire patiemment, illustrant les principes 2, 7 et 8 du Manifeste des entreprenants : il aime trouver des solutions à des problèmes jugés insolubles, il considère que le chef doit avoir une vision sociétale de son rôle et travaille comme un jardinier.
Pour découvrir avec délectation l’intelligence des dispositifs mis en place, dont nous n’avons donné que des aperçus, voir L’art de redonner fierté et efficacité à des fonctionnaires inquiets.